L'autre est moi
Son corps est mort, sans vie
Mon corps vit vers la mort
Vacarme, sirènes hurlantes
Hôpital, de fièvre brûlante
Il meurt, c'en est fini de lui
Je meurs, il va changer mon sort.
Il file sur les routes
Vers sa dernière escale.
Autour de lui le doute,
Chez ses parents, s'installe :
" Faut-il donner, garder tout ou partie de lui?
Qu'avait-il décidé de faire après sa vie ? "
On parle, on s'interroge, on ne sait que penser,
Le temps nous est compté, il faut se décider.
"Je suis pour ! – Que dis-tu? Tu es trop jeune Léa !
- C'est mon frère, je sais tout ! Il s'est confié à moi… "
La famille incrédule étudie la question
Ce serait le trahir que d'oser dire non…
Autre lieu, on s'affaire autour de lui :
Un cœur, des poumons, des reins, c'est parti
Ce qui faisait de lui un homme
Va en sauver six cette nuit.
Un peu partout ses chromosomes
Vont sauver des gens et des vies.
Vingt-deux heure, c'est terminé,
Son corps tout vide est refermé.
Il va rejoindre sa famille,
Ils l'ont perdu, leur vie vacille,
Mais ne cesseront de l'aimer…
Il est vingt-deux heure, on m'appelle.
Le coup de fil tant attendu !
Celui qui fera de moi celle
Qu'aujourd'hui je suis devenue.
Après la joie, l'angoisse monte
Et si je ne revenais pas ?
Ma fille pleure, elle en a honte
" Il ne faut pas mon petit chat !
Maman fera tout ce qu'elle peut
Pour se battre et pour revenir.
Je voudrais exaucer ton vœu
Et ne plus te faire souffrir. "
Mais déjà les lumières amères
Et le lieu de nos Au revoir
La nuit est là, la lune éclaire
Ma longue plongée dans le noir.
Dans l'ambulance, la route file à toute allure
Je n'arrive plus à parler
J'ai froid. J'ai peur. Je ne sais si j'ai la carrure
Pour faire face et pour gagner.
Nuit blanche, angoisse, tout s'accélère
Il est l'heure d'aller au bloc
J'ai très peur de les laisser faire
Toutes mes pensées s'entrechoquent.
Mais déjà j'ai quitté la Terre
Un mois d'Enfer et de souffrance
Un mois où j'ai cru mourir chaque jour
Où j'ai marqué à jamais l'enfance
De ma petite puce d'amour.
Elle vient mais ne me parle pas
Elle vient, ne me regarde pas.
" Pourquoi ? écris-je fébrilement. "
Pas de réponse à ma question
Je ne saurai qu'après longtemps
Qu'elle faisait face à ses démons.
" Tu parles pas, ne souris pas, tu ne fais rien. "
Voilà ce qui plongeait mon ange en plein chaos.
Comment t'aider mon ange ? Je ne sais pas bien
Ce qui pourrait soulager ta peine et tes maux.
Enfin je quitte ce cachot
Enfin je respire et c'est beau.
Mes jambes ne me tiennent plus
Mais je respire à plein poumons
Plus de trois mois que je n'ai vu
Les balles de foin, ma maison…
Un appel a changé ma vie
Un appel a détruit la vôtre
Nos vies se croisent, il part je vis
Il a donné sa vie à d'autres.
Une petite fille rit
Léa dit adieu à son frère
" Maman, on fait la course, dit ? "
Elle, se blottit contre sa mère.